Des voix s’élèvent pour dire leurs oppositions à la tenue des grands rassemblements religieux dans le contexte critique actuel de la pandémie covid-19 marqué par la férocité du variant Delta. Au même moment, d’autres voix plaident pour le maintien de ces rassemblements, notamment pour le prochain Magal de Touba.
Je lis ces divergences portées dans l’espace public tout d’abord comme les signes de la vitalité de la liberté d’expression et de la démocratie pluraliste et laïque de notre pays. Ce débat montre, s’il en est besoin, qu’au Sénégal, les pratiques religieuses peuvent être objets d’analyses et de critiques sans que la violence en suive et sans que l’État ne vienne imposer un point de vue. Par ailleurs, certaines positions qui s’expriment dans le discours social actuel sur l’organisation du Magal peuvent être analysées comme des interpellations citoyennes qui reflètent les inquiétudes, les angoisses d’une partie de la communauté nationale qui veut être informée, rassurée sur les négociations en cours entre les autorités étatiques et religieuses pour un Magal qui doit être marqué du sceau d’un plan rigoureux de haute prudence sanitaire.
Car, au fond, le réalisme doit être de mise : tout porte à croire que le Magal aura bien lieu. Et il aura lieu, cette année, dans un contexte sanitaire encore plus dangereux où toute erreur d’évaluation pourrait contribuer à la propagation du violent virus Delta. Nous vivons en effet en présence d’une variante du virus plus destructive, plus intrusive, plus mortelle et qui frappe également les jeunes. Dès lors, on ne pourra, ni de la part de l’État, ni de la part des organisateurs du Magal, ni de la part des fidèles soutenir que nous ne savions pas. Si, il y a trois mois de cela, plusieurs pensaient que nous avions ralenti la force de la pandémie, avec cette troisième vague, nul ne peut prétendre ignorer les faits objectifs qui confirment que nous sommes en pleine propagation des contaminations du virus et augmentation des décès.
La situation actuelle me fait revenir sur quelques principes essentiels en contexte de laïcité, même de laïcité ouverte comme au Sénégal. J’avais déjà énoncé ces principes dans un texte d’opinion publié dans la presse sénégalaise lors de l’affaire du voile islamique à l’École Ste Jeanne d’Arc. J’indiquais qu’il est du devoir de l’État de protéger la liberté de croyance religieuse ainsi que les manifestations des actes de croire, donc « la croyance en acte », c’est-à-dire les systèmes d’action, les gestes, les cérémonies qui constituent l’expression extérieure de la foi des individus et des groupes. Cependant, l’État, garant de l’équilibre social, doit, en même temps, veiller à ce que « le croire en acte », comme par exemple la liberté de culte, dont la célébration des particularismes religieux et confrériques, ne vienne pas perturber le fonctionnement global de la société ou la mission des institutions d’État de protéger les droits de tous. Et préserver la santé de tous est une obligation régalienne de l’État. C’est dire que la laïcité ne saurait valider une permissivité absolue des religions. Ainsi, le Magal ou le Gamou, même s’ils font partie de l’identité religieuse, ne constituent pas un droit absolu en tout temps et en tout lieu.
C’est pourquoi nous pensons que dans le contexte actuel d’incertitude, des constats doivent s’imposer : le Magal ne peut pas se dérouler dans les mêmes conditions que celles de l’année dernière. Le contexte actuel est hautement plus explosif. Dès lors, la lucidité, l’éthique de la responsabilité doivent être au cœur des échanges actuels entre les autorités religieuses et gouvernementales. Les différents acteurs engagés dans l’organisation savent sans nul doute qu’ils ont à construire ensemble, dans la concertation et la totale franchise les accommodements raisonnables pour les conditions d’un Magal sous haute prudence sanitaire et sécuritaire. Les différentes parties œuvrent sûrement à forger ces accommodements qui puissent autoriser la tenue du Magal mais tout en veillant à ce que l’événement n’entraine pas des contraintes excessives à l’État qui l’empêcheraient d’assurer la protection sanitaire de toute la société. L’État et les autorités religieuses doivent s’engager dans une forte réflexion d’atténuation maximale de l’impact de la Covid.
Dans un pays démocratique et laïque, l’État doit afficher une neutralité face aux visions religieuses et confrériques. Il doit veiller au respect de l’expression des croyances et des pratiques religieuses et en retour, les religions doivent respecter le pacte laïque qui fonde une société de tolérance et de respect des droits qui s’imposent à tous. Le Sénégal demeure un État laïque, même si nous constatons une forte prégnance du fait religieux dans la vie culturelle et sociale. Il faut cependant toujours souligner que si la société sénégalaise n’est pas laïque, l’État, lui, est laïque.
Malgré le travail imposant, qu’il faut encore une fois saluer, de nos scientifiques dans les laboratoires, de nos épidémiologistes, de nos médecins et autres acteurs de la santé, de notre gouvernement, il demeure que les croyants sont dans l’inquiétude et ont besoin du refuge de ces moments fortement symboliques de pratiques collectives de recueillement et d’imploration de la clémence de Dieu et des saints. Comment bien les organiser et avec toutes les précautions nécessaires? Voilà les défis d’une collaboration entre le scientifique, le politique et le religieux. Et il faut reconnaître que notre pays a connu quelques succès dans cette collaboration.
Prions encore le bon Dieu afin qu’IL nous guide dans des voies de solutions convenables et viables et ceci dans une concertation éclairée entre l’État et les organisateurs du Magal, sous le leadership et la sagesse du vénéré Khalife et régulateur social, Serigne Mountakha Mbacké.
PROFESSEUR KHADIYATOULAH FALL, CHERCHEUR ÉMÉRITE DU CENTRE D’EXCELLENCE CELAT ET TITULAIRE DE LA CHAIRE CERII, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À CHICOUTIMI, CANADA