Lors du dernier conseil des ministres, le Président de la République a recommandé le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, à « examiner dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdus leurs droits de vote » afin de « consolider le dialogue national et l’ouverture politique ».
Depuis, les langues se sont dédiées, et à l’accoutumée, on dit tout et son contraire sur ce sujet.
« Mal nommé les choses, c’est rajouter au malheur du monde ». Pour ne pas alourdir le ciel si nuageux de l’atmosphère politique sénégalaise, il serait d’abord opportun de saisir les contours de sens de la notion d’amnistie, d’analyser ensuite ses conséquences dans tous les domaines et de se pencher enfin sur le sort d’un rejet d’une telle offre à toute personne qu’elle pourrait viser.
1 – La notion d’amnésie et le droit positif sénégalais
Le mot vient du grec » amnêstia » qui signifie oubli ou pardon. En droit, il s’agit d’un « acte du législateur qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits auxquels il s’applique ».
Dès lors, il s’agit d’une loi qui, selon le cas, empêche ou éteint l’action publique, annule la condamnation déjà prononcée ou met un terme à l’exécution de la peine.
2 – Amnistie et incidences politico-juridiques
La première conséquence d’une amnistie est l’oubli de la sanction. A travers cette loi, le Peuple, pour qui et au nom de qui la justice est rendue, pardonne les auteurs des infractions qu’il vise.
Dès lors, les peines amnistiées ne figurent plus au casier judiciaire des personnes antérieurement condamnées.
L’amnistie efface et aseptise au sens chimique du terme la peine.
Actuellement, en plus d’une consécration prévue par la Constitution, une loi n° 2005-05 intervenue le 17 Février 2005 et validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 1-C-2005 du 12 février 2005 pour poser tout son régime juridique. Notons que cette loi a été prise sous la présidence de Maître Abdoulaye WADE avec comme Premier Ministre, M. Macky SALL.
Son étude permet d’éclairer certaines zones en augmentant les rais du projecteur.
Ainsi, l’article 1 dispose clairement que « sont amnistiées, de plein droit, toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les élections générales ou locales, ayant eu une motivation politique, situées entre le 1er Janvier 1983 et le 31 Décembre 2004, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».
Que faut-il comprendre ici ?
La portée de la loi et son champ d’application sont inscrits dans une période bien déterminée et qui ne sont plus d’actualité en 2022 quant à leur commission.
Donc, l’interpellation du Président de la République M. Macky SALL à l’endroit du Ministre de la Justice appelle la préparation d’une nouvelle loi ou d’un autre décret pour les adapter au ratione temporis si toutefois sa volonté vise les interdictions de vote frappant des acteurs politiques depuis 2012.
Toutefois, l’article 2 de la loi de 2005 révèle un intérêt pédagogique insigne pour la démonstration de l’analyse.
Pour lui, « l’amnistie de l’infraction entraîne, sans qu’elle puisse jamais donner lieu à restitution, la remise totale de toutes les peines principales, accessoires et complémentaires, ainsi que la disparition de toutes les déchéances, exclusions, incapacités et privations de droits attachées à la peine ».
Ce principe étant posé, l’article 3 vient l’encadrer en posant quelques exceptions dans son applicabilité. Ainsi affirme-t-il : « l’amnistie n’emporte pas de plein droit la réintégration dans les fonctions ou dans les emplois publics ».
Mais, cette déchéance n’est pas absolue puisque l’alinéa 2 prévoit, pour sa réintégration, l’intervention d’un acte décretal. A ses termes, il est dit que : « le bénéficiaire de l’amnistie peut toutefois être réintégré dans les fonctions ou emplois par décret ».
Un seul bémol est à relever lorsqu’il s’agit des fonctionnaires. La loi soutient que « cette réintégration ne donne lieu, en aucun cas, à reconstitution de carrière, indemnité ou rappel de traitement ».
Il en est de même pour la réintégration dans les ordres nationaux. L’article 5 dispose « l’amnistie n’emporte pas de plein droit la réintégration dans les ordres nationaux. Celle – ci ne peut être prononcée que par décret individuel ».
Au vu du communiqué du Conseil des ministres, le souhait du Chef de l’Etat porte sur les condamnations, déchéances, exclusions, incapacités et privations de droit attachées à la peine qui seront effacées par l’amnistie avec octroi de leur droit de vote et leur réintégration dans la liste des électeurs. Cela est très important parce que depuis leur condamnation, messieurs Khalifa SALL et Meissa Karim WADE étaient inaptes à être candidats dans toutes élections du fait de leur non inscription dans la listes des électeurs .
3 – Le rejet de l’amnistie
Il peut paraître curieux d’entendre que certaines personnes visées par la future loi d’amnistie n’en veuillent pas et qu’elles clament et proclament leur innocence.
Ce que ce refus sous-entend est leur volonté d’une procédure de révision de leur procès pour les innocenter totalement et non leur servir un pardon. Dans leur entendement, on pardonne à quelqu’un qui a commis un tort et qui présente ses excuses. Selon eux, il n’est question d’aucune malversation ni d’excuse à présenter à qui de droit.
Que veulent-ils ? Le droit leur accorde deux possibilités : la révision et la réhabilitation.
De toute façon, l’amnistie peut faire bon ménage avec la révision. Celle-là n’exclue pas celle-ci puisque l’article 9 de la loi de 2005 prévoit que « l’amnistie ne met pas obstacle à l’action en révision devant toute juridiction compétence en vue de faire établir l’innocence du condamné ».
Quant à la réhabilitation, elle correspond au établissement dans les droits et prérogatives dont on est déchu. Juridiquement, elle signifie la cessation des effets d’une condamnation à la suite d’une erreur judiciaire, de la révision d’un procès.
Donc, la réhabilitation vient après la révision du procès pour faire ARRÊTER de la condamnation alors que la révision INNONCENTE les « condamnés ».
Conclusion
On voit bien qu’une loi d’amnistie ne vise que des faits établis, jugés et condamnés par des peines privatives de liberté et/ou d’amende. Il faut que ces personnes soient des accusés jugés et condamnés par la justice et non par la clameur publique pour que la loi d’amnistie s’applique sur elles. Il est donc injuste de penser que cette initiative du Président de la République aurait pour but de protéger de potentiels auteurs de malversations non connus de la Justice et pas encore condamnés.
La loi étant la traduction juridique de l’expression politique du Peuple souverain, il revient aux Représentants de ce dernier, élus au suffrage universel direct, de décider d’une amnistie, d’une révision ou d’une réhabilitation. L’essentiel est que le choix s’opère dans l’intérêt exclusif de la Nation et dans le respect total du droit positif sénégalais.
Certes, à la Guadeloupe, « pardon ne guérit pas la bosse » mais chez Hazrat ALI, « le pardon couronne la grandeur ».
Allons à l’amphi : l’amnistie, la notion et ses incidences (Par Prof. MOUNIROU SY)
Lors du dernier conseil des ministres, le Président de la République a recommandé le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, à « examiner dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdus leurs droits de vote » afin de « consolider le dialogue national et l’ouverture politique ».
Depuis, les langues se sont dédiées, et à l’accoutumée, on dit tout et son contraire sur ce sujet.
« Mal nommé les choses, c’est rajouter au malheur du monde ». Pour ne pas alourdir le ciel si nuageux de l’atmosphère politique sénégalaise, il serait d’abord opportun de saisir les contours de sens de la notion d’amnistie, d’analyser ensuite ses conséquences dans tous les domaines et de se pencher enfin sur le sort d’un rejet d’une telle offre à toute personne qu’elle pourrait viser.
1 – La notion d’amnésie et le droit positif sénégalais
Le mot vient du grec » amnêstia » qui signifie oubli ou pardon. En droit, il s’agit d’un « acte du législateur qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits auxquels il s’applique ».
Dès lors, il s’agit d’une loi qui, selon le cas, empêche ou éteint l’action publique, annule la condamnation déjà prononcée ou met un terme à l’exécution de la peine.
2 – Amnistie et incidences politico-juridiques
La première conséquence d’une amnistie est l’oubli de la sanction. A travers cette loi, le Peuple, pour qui et au nom de qui la justice est rendue, pardonne les auteurs des infractions qu’il vise.
Dès lors, les peines amnistiées ne figurent plus au casier judiciaire des personnes antérieurement condamnées.
L’amnistie efface et aseptise au sens chimique du terme la peine.
Actuellement, en plus d’une consécration prévue par la Constitution, une loi n° 2005-05 intervenue le 17 Février 2005 et validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 1-C-2005 du 12 février 2005 pour poser tout son régime juridique. Notons que cette loi a été prise sous la présidence de Maître Abdoulaye WADE avec comme Premier Ministre, M. Macky SALL.
Son étude permet d’éclairer certaines zones en augmentant les rais du projecteur.
Ainsi, l’article 1 dispose clairement que « sont amnistiées, de plein droit, toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les élections générales ou locales, ayant eu une motivation politique, situées entre le 1er Janvier 1983 et le 31 Décembre 2004, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».
Que faut-il comprendre ici ?
La portée de la loi et son champ d’application sont inscrits dans une période bien déterminée et qui ne sont plus d’actualité en 2022 quant à leur commission.
Donc, l’interpellation du Président de la République M. Macky SALL à l’endroit du Ministre de la Justice appelle la préparation d’une nouvelle loi ou d’un autre décret pour les adapter au ratione temporis si toutefois sa volonté vise les interdictions de vote frappant des acteurs politiques depuis 2012.
Toutefois, l’article 2 de la loi de 2005 révèle un intérêt pédagogique insigne pour la démonstration de l’analyse.
Pour lui, « l’amnistie de l’infraction entraîne, sans qu’elle puisse jamais donner lieu à restitution, la remise totale de toutes les peines principales, accessoires et complémentaires, ainsi que la disparition de toutes les déchéances, exclusions, incapacités et privations de droits attachées à la peine ».
Ce principe étant posé, l’article 3 vient l’encadrer en posant quelques exceptions dans son applicabilité. Ainsi affirme-t-il : « l’amnistie n’emporte pas de plein droit la réintégration dans les fonctions ou dans les emplois publics ».
Mais, cette déchéance n’est pas absolue puisque l’alinéa 2 prévoit, pour sa réintégration, l’intervention d’un acte décretal. A ses termes, il est dit que : « le bénéficiaire de l’amnistie peut toutefois être réintégré dans les fonctions ou emplois par décret ».
Un seul bémol est à relever lorsqu’il s’agit des fonctionnaires. La loi soutient que « cette réintégration ne donne lieu, en aucun cas, à reconstitution de carrière, indemnité ou rappel de traitement ».
Il en est de même pour la réintégration dans les ordres nationaux. L’article 5 dispose « l’amnistie n’emporte pas de plein droit la réintégration dans les ordres nationaux. Celle – ci ne peut être prononcée que par décret individuel ».
Au vu du communiqué du Conseil des ministres, le souhait du Chef de l’Etat porte sur les condamnations, déchéances, exclusions, incapacités et privations de droit attachées à la peine qui seront effacées par l’amnistie avec octroi de leur droit de vote et leur réintégration dans la liste des électeurs. Cela est très important parce que depuis leur condamnation, messieurs Khalifa SALL et Meissa Karim WADE étaient inaptes à être candidats dans toutes élections du fait de leur non inscription dans la listes des électeurs .
3 – Le rejet de l’amnistie
Il peut paraître curieux d’entendre que certaines personnes visées par la future loi d’amnistie n’en veuillent pas et qu’elles clament et proclament leur innocence.
Ce que ce refus sous-entend est leur volonté d’une procédure de révision de leur procès pour les innocenter totalement et non leur servir un pardon. Dans leur entendement, on pardonne à quelqu’un qui a commis un tort et qui présente ses excuses. Selon eux, il n’est question d’aucune malversation ni d’excuse à présenter à qui de droit.
Que veulent-ils ? Le droit leur accorde deux possibilités : la révision et la réhabilitation.
De toute façon, l’amnistie peut faire bon ménage avec la révision. Celle-là n’exclue pas celle-ci puisque l’article 9 de la loi de 2005 prévoit que « l’amnistie ne met pas obstacle à l’action en révision devant toute juridiction compétence en vue de faire établir l’innocence du condamné ».
Quant à la réhabilitation, elle correspond au établissement dans les droits et prérogatives dont on est déchu. Juridiquement, elle signifie la cessation des effets d’une condamnation à la suite d’une erreur judiciaire, de la révision d’un procès.
Donc, la réhabilitation vient après la révision du procès pour faire ARRÊTER de la condamnation alors que la révision INNONCENTE les « condamnés ».
Conclusion
On voit bien qu’une loi d’amnistie ne vise que des faits établis, jugés et condamnés par des peines privatives de liberté et/ou d’amende. Il faut que ces personnes soient des accusés jugés et condamnés par la justice et non par la clameur publique pour que la loi d’amnistie s’applique sur elles. Il est donc injuste de penser que cette initiative du Président de la République aurait pour but de protéger de potentiels auteurs de malversations non connus de la Justice et pas encore condamnés.
La loi étant la traduction juridique de l’expression politique du Peuple souverain, il revient aux Représentants de ce dernier, élus au suffrage universel direct, de décider d’une amnistie, d’une révision ou d’une réhabilitation. L’essentiel est que le choix s’opère dans l’intérêt exclusif de la Nation et dans le respect total du droit positif sénégalais.
Certes, à la Guadeloupe, « pardon ne guérit pas la bosse » mais chez Hazrat ALI, « le pardon couronne la grandeur ».