(Par le MONDE.fr):L’élection présidentielle américaine de 2016 permettra d’élire le 8 novembre le 45e président des États-Unis qui entrera en fonction le . Ce sera la 58e élection présidentielle américaine depuis 1788.
L’élection revêt un caractère inédit à plus d’un titre. Malgré une embellie économique aux États-Unis et la relative popularité du président sortant, la campagne pour la présidentielle se passe dans un climat extrêmement peu serein sur fond, notamment, de précarité pour les classes populaires, de tensions raciales et de guerre contre le terrorisme. À l’occasion des primaires démocrates et républicaines, ce climat profite aux candidats « anti-système » [évasif] dans les deux camps : Bernie Sanders au Parti démocrate et Donald Trump au Parti républicain, même s’ils sont en profond désaccord sur la grande majorité des sujets2. Mais, de ces deux candidats anti-système, seul Trump remportera la nomination, Sanders devant s’incliner, après une course serrée et riche en péripéties, devant Hillary Clinton.
C’est la première fois qu’une femme est investie candidate par l’un des deux grands partis historiques américains (Clinton étant, de surcroît, une ancienne première dame des États-Unis et considérée comme la personne la plus qualifiée à avoir jamais prétendu à la fonction présidentielle)3,4. Le profil de son principal adversaire, Donald Trump, est également atypique : riche homme d’affaires et présentateur d’une émission de téléréalité, celui-ci n’a jamais occupé de fonction publique, politique ou militaire. Autre fait marquant : si les deux candidats agrègent des publics très différents l’un de l’autre (alors que Clinton ramène à elle l’électorat féminin ou celui des minorités ethniques, Donald Trump doit en grande partie sa popularité aux électeurs de sexe masculin, blancs et sans diplôme universitaire — catégorie représentant près de la moitié des votants5), ils doivent conjointement faire face à un taux de popularité anormalement bas, aussi bien dans l’opinion générale qu’au sein de leur propre famille politique6,7,8. Par ailleurs, ils sont les deux candidats les plus âgés à entrer en campagne après Ronald Reagan, âgé de 73 ans en 19849.
Cette défiance se fait jour dès les primaires. Hillary Clinton, avant d’être investie, est fortement concurrencée par la candidature de Bernie Sanders, portée par de jeunes militants soucieux de faire pencher l’appareil du parti démocrate vers sa gauche et qui voient en Clinton une figure de l’etablishement10. Pourtant décrite par Barack Obama comme la candidate la plus qualifiée pour le poste qu’aient jamais connu les États-Unis11, l’image de Clinton reste ternie par diverses affaires comme celle de l’affaire des e-mails compromis — piratées par des services russes souhaitant se mêler des élections, d’après des services de renseignement fédéraux12 — lorsqu’elle était secrétaire d’État ou celle de l’attaque de Benghazi13.
De son côté, Donald Trump, dont la candidature aux primaires n’est d’abord pas prise au sérieux par les observateurs politiques14, élimine successivement tous les favoris du parti républicain15. Mais par ses déclarations souvent jugées originales, provocatrices, voire racistes16,17 et sexistes18,19, le milliardaire voit plusieurs grandes figures conservatrices lui tourner le dos20,21 ou le soutenir a minima après son investiture22. Son langage violent, parfois grossier et extrêmement agressif lui vaut l’animosité d’un grand nombre de personnalités qu’il a personnellement attaquées ; ainsi son principal rival, le sénateur Ted Cruz, refuse dans un premier temps de le soutenir officiellement, Trump ayant insulté son épouse et son père23, avant de revenir sur sa décision deux mois plus tard24. De même, les anciens présidents George H. W. Bush et George W. Bush, ainsi que le candidat battu aux primaires Jeb Bush, n’approuvent pas la candidature de l’homme d’affaires25, tout comme les deux précédents candidats républicains John McCain26 et Mitt Romney27, le premier ayant notamment vu son statut de héros de guerre remis en question par Trump28 tandis que le second a tenté à de multiples reprises de convaincre les électeurs de ne pas voter pour le milliardaire qu’il estime grossier et dangereux29. La divulgation, début octobre 2016, d’un enregistrement dans lequel Donald Trump profère des propos obscènes à l’égard des femmes marque également une rupture significative entre le candidat et une partie du Parti républicain30,31.
Pour le politologue Dominique Moïsi, le duel entre Hillary Clinton et Donald Trump représente le premier « face-à-face entre une démocrate interventionniste et un républicain isolationniste » depuis l’élection présidentielle de 1940 et la victoire de Franklin Delano Roosevelt sur le républicain Wendell Willkie32.