Selon un rapport conjoint du Centre de défense des droits humains (IRIDIA) et de l’Institut international pour l’action non-violente (NOVACT) lu à Dakaractu, un système bien huilé permet de transférer les technologies biométriques pour la surveillance et le contrôle de masse des frontières et des pays tiers au sein des sociétés de destination de la migration afin d’identifier les migrants et de les expulser de l’UE le plus rapidement possible. C’est une priorité pour les européens qui entendent mettre 34,9 milliards d’euros pour la période 2021 -2027 contre 13 milliards pour la période précédente.
 
Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, un projet de modernisation des systèmes d’identification est déjà en cours. Pour le Sénégal, c’est 28 millions d’euros, soit 18 milliards FCFA qui ont été dégagés par le Fonds fiduciaire européen pour moderniser l’état-civil. En réalité, c’est pour permettre aux États Européens confrontés à la migration de pouvoir identifier les migrants et de les déporter.
 
« Au cœur du paradigme du concept de frontières intelligentes se trouve le projet de créer de grandes bases biométriques interopérables qui permettront de contrôler la mobilité des personnes entrant et sortant de l’espace Schengen, ainsi que leur identification et détection », écrit le rapport épluché par Dakaractu.
 
Déjà en 2020, ajoute-t-il, « l’UE a accumulé des informations biométriques sur 218 millions de migrants, demandeurs d’asile et demandeurs de visa, ainsi que des informations sur les mouvements de 500 millions de citoyens européens. » Pour ce faire, l’Union européenne est passée par Eurodac, le système d’information sur les visas (VIS), le système d’information Schengen (SIS II), le système d’entrée/sortie (SES) et le programme d’enregistrement des passagers (PVR), le Système européen d’informations sur les casiers judiciaires (ECRIS) et ECRIS TNC. Selon le rapport NOVACT/IRIDIA, ces données peuvent être croisées avec celles de Interpol et d’Europol. Avec un tel système, seule une personne sur mille qui rentre légalement dans l’espace Schengen y restera plus longtemps qu’elle n’y est autorisée.
 
Les entreprises impliquées dans les systèmes d’identification des migrants citées dans la vente d’armes aux pays de départ
 
La gestion de ces données est une opportunité pour beaucoup de sociétés privées. Ainsi, fait noter le rapport, l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’informations (eu Lisa) a accordé un projet de 302 550 000 euros à la société IDEMIA (ex Morpho SAS), pour développer l’interopérabilité des données de base. Morpho était une filiale du géant français dans l’armement, Safran.
 
Ce qui fait dire aux auteurs du rapport que « les entreprises qui bénéficient de la création de systèmes de contrôle de la migration qui permettent l’exécution des déportations, sont les mêmes que celles qui bénéficient de la vente d’armes et de la technologie militaire dans les zones de conflit, dont l’Union européenne tend réduire le flux migratoire ».
 
Frontex, le bras armé de l’UE pour rapatrier les « envahisseurs »
 
Mais cette contradiction ne gêne pas les décideurs européens qui, à travers Frontex, l’Agence européenne de garde-frontière et de garde-côtes, organisent des déportations massives. Selon le rapport NOVACT/IRIDIA sur les droits humains, Frontex a organisé l’expulsion de 60 135 personnes dans le cadre de 1437 opérations entre 2009 et 2019.
 
L’agence a pris du galon et entre 2015 et 2016, le budget alloué aux expulsions a presque triplé, passant de 11,4 millions d’euros à 66,5 millions d’euros. Ce qui fait que Frontex a expulsé plus de personnes au cours des quatre premiers mois de 2017 (4704 sur 100 vols de retour forcé) que toutes celles qu’elle avait expulsées en 2015 (3.565 personnes sur 66 vols) ». « En 2019, 15.850 personnes ont été déportées dans le cadre d’opérations de retour soutenues par Frontex », poursuit le rapport qui précise que l’État espagnol a organisé le rapatriement de 669 personnes en 2019, à travers 19 opérations. « Entre 2010 et 2019, continue le rapport, l’État espagnol a expulsé un total de 223 463 personnes, dont 92 433 concernent des procédures de refus d’entrée, 56 576 pour le refoulement et 74 454 pour l’expulsion ».  Pour retourner les candidats, l’État espagnol passe par des pays comme la Mauritanie et le Maroc avec qui il a des accords.
 
À la faveur des arrivées massives de migrants à l’archipel des Canaries, l’Espagne a repris les déportations. À cet effet, 22 ressortissants africains dont 20 sénégalais, un guinéen et un mauritanien ont été déportés le 10 novembre dernier vers Nouadhibou. Leur expulsion a fermé le centre de détention pour migrants de l’Île de Gran Canaria. L’accord conclu avec Nouakchott permet à Madrid de rapatrier des citoyens mauritaniens mais toute autre personne ayant transité par ce pays pour entrer en Espagne. Pour NOVACT et IRIDIA, « c’est une grave violation des droits de l’homme ».
 
L’Espagne, un cas particulier
 
Des observations qui ne risquent pas d’être entendues d’autant plus que la gestion du flux migratoire semble être pourvoyeur de sous. « Entre 2014 et 2020, l’État espagnol à reçu 812 millions d’euros de fonds européens dans le domaine du contrôle de la gestion des flux migratoires, dans le but d’avancer dans la mise en œuvre des systèmes de frontières intelligentes », fait remarquer le rapport NOVACT/IRIDIA. Pour exécuter ces projets, 456 marchés publics liés au système d’expulsion ont été passés pour 127 millions d’euros, entre 2014 et 2020. Rien que dans le système d’identification des migrants, on trouve des entreprises du secteur technologique comme Indra Sistemas SA, Informatica El Corte Inglés, GMV Solutiones Globales Internet S A U, Telefonica Solutiones de Informatica y Commucaciones de Espana etc.
 
Au même titre, une vaste industrie s’est développée pour le contrôle des frontières et dans cette phase, révèle le rapport, les entreprises Amper, Indra Sistemas SA, Informatica Corte Inglés, Manusa, Everis, VISION BOX Solution of Computer Vision Inc et Gemalto INC (Groupe Thales), Atos Solution et Services Iberia SA, Eulen Seguridad se distinguent.
 
« Dans le cadre de la surveillance et du contrôle social dans les espaces publics, nous identifions les sociétés de sécurité privée qui participent directement ou indirectement aux contrôles d’identité, ainsi que les sociétés de cybersécurité qui développent des systèmes de vidéosurveillance massive dans les espaces publics, ainsi que des systèmes d’information pour la gestion et le maintien de l’ordre. Dans cette phase Les sociétés Herta Security, Avigilon (filiale de Motorola Inc.), Visionipnet se distinguent, Prosegur, Eulen, Securitas, PROSETECNISA, Metropolis Sécurité et sûreté, Ilunion Sécurité, Astra Sistemas et Ombuds » ; renchérit le rapport NOVA IRIDIA selon lequel « la détention et l’expulsion des migrants sont liées aux entreprises de transport aérien, maritime et terrestre. « En ce qui concerne les vols, entre 2013 et 2016, l’entreprise commune Air Europa Swiftair a reçu des contrats pour des vols de transfert et d’expulsion. À partir de 2016, les principales entreprises bénéficiaires étaient Evelop Airlines S.L., Orbest S. A., Air Nostrum Líneas Aéreas del Mediterráneo S. A. ; (2018-19) UTE Air Europa Líneas Aereas S. A. U., Aeronova, Slu, Swiftair S. A. ; (2019-20) UTE Evelop Airlines, S. L. et Air Nostrum Líneas Aéreas del Mediterráneo S. A », détaillent les auteurs qui n’oublient pas de mentionner les entreprises qui fournissent des services de sécurité, de santé et l’alimentation ou encore l’amélioration des infrastructures dans les centres de détention.
 
Il faut noter qu’au moment où l’Europe injecte des centaines de millions d’euros pour rapatrier les migrants irréguliers africains, elle fait gagner presque des miettes aux pays de départ dans des accords dans lesquels elle est la principale gagnante. Pour preuve, la contrepartie financière de l’accord de pêche avec le Sénégal est de 15 millions d’euros (10 milliards FCFA) sur 5 ans. À côté, elle finance un projet de modernisation de l’état-civil à hauteur de 28 millions d’euros (18 milliards FCFA)…

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